À l’occasion de la nouvelle année, le journal L’Alsace propose une série de témoignages de personnes qui vivent, travaillent ou étudient à Mulhouse, intitulée « Passage de témoin ». Parmi elles, la journaliste Frédérique MEICHLER-BECK est allée à la rencontre de Hervé Paradis-Murat, prêtre de l’église Saint-Marie centre-ville. Publié dans L’Alsace le 8/1/23.

On peut lire l’article en ligne ici. Le contenu de l’entretien est repris ici.

Dans votre vie personnelle, qu’est-ce qui vous a le plus marqué en 2022 ?

Je ne peux pas faire abstraction du contexte international et de la guerre en Ukraine, ce retour tragique dans l’histoire. Tout ce qui tourne aussi autour de la question de l’énergie, qui instille un climat anxiogène chez les gens, mais qui est aussi l’occasion de repenser nos modes de vie.

Du côté de l’Église, c’est une année lourde, entre la visite apostolique du diocèse , les nouvelles révélations de Mgr Grallet. Cette crise des abus sexuels plonge beaucoup de chrétiens, de prêtres aussi, dans un profond accablement. Après la publication du rapport Sauvé en octobre 2021 , on s’aperçoit encore de non-dits, alors qu’on espérait que cette parole de Jésus, « La vérité vous rendra libres » (Jean, 8, 31-42), avait fait son oeuvre. Certains ont reproché à la Ciase (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église) de parler d’un « phénomène systémique », mais on en est bien là, l’entre-soi a joué à plein. Il y a matière à découragement.

J’ai eu la chance d’écouter un bel éditorial de Véronique Margron, présidente de la Corref (Conférence des religieux et religieuses de France) très investie dans la lutte contre les abus sexuels au sein de l’Église, un beau texte dans lequel elle cite Dietrich Bonhoeffer, pasteur allemand résistant qui a été assassiné par les nazis : « Seule la communauté qui ne craint pas la déception qu’inévitablement elle éprouvera en prenant conscience de toutes ses tares pourra commencer par être telle que Dieu la veut et saisir par la foi la promesse qui lui est faite. La vraie communauté est à ce prix : c’est quand nous cessons de rêver à son sujet qu’elle nous est donnée. »

Dans le territoire mulhousien, en 2022, quel événement, quelle manifestation, quel phénomène retenez-vous ?

Je trouve très positif l’inscription dans la durée des « rallyes intercultuels », cette proposition faite à des collégiens et lycéens de découvrir des lieux de culte des différentes religions, une église catholique, un temple protestant, une mosquée, la synagogue, un temple bouddhiste… Ce travail du vivre ensemble pour se connaître mieux, c’est essentiel. Depuis la rentrée 2022, cette démarche a lieu une fois par mois et concerne à chaque fois quatre classes.

Je me suis réjoui aussi de l’installation d’un compost collectif dans le jardin de la Maison Loewenfels, ouvert aux habitants du quartier, et de l’inauguration de la nouvelle place devant la gare. Je trouve que c’est une belle entrée de ville…

Il y a eu des concerts solidaires pour le peuple ukrainien, dont un qui a accueilli un violoniste ukrainien et une chanteuse russe en juin (Oleksandr Sora et Maria Krasnikova), c’était un moment fort.

Au sein de la paroisse, nous avons développé une catéchèse familiale et intergénérationnelle réunissant parents et enfants (suivie une fois par mois par une cinquantaine d’adultes et de jeunes). On a lancé également une « école de la prédication » à Mulhouse, qui existe depuis sept ans auniveau national. C’est important de donner davantage de place aux laïcs dans nos églises. Une dizaine de personnes de la région mulhousienne sont engagées. J’ai toujours pensé ma vie de prêtre non pas comme quelque chose de hiérarchique et de pyramidal, mais sous l’angle fraternel.

Si vous deviez décerner le titre de personnalité de l’année, à qui le remettriez-vous ?

Véronique Margron , présidente de la Corref que j’ai déjà évoquée, pour son courage, la qualité de sa parole. C’est quelqu’un de remarquable, qui peut montrer l’importance de prêcher au féminin. Il faut donner la parole aux femmes dans l’Église catholique…

L’autre personnalité, c’est Gad Elmaleh… J’étais un peu sceptique au début, mais je suis allé voir avec des amis son film autobiographique Reste un peu, où il évoque son chemin vers le catholicisme. Il parle de spiritualité avec beaucoup de fraîcheur.

Quels changements aimeriez-vous voir en 2023 ?

La fin de la guerre en Ukraine. Et qu’on puisse enfin sortir de ce marasme ecclésial ! Il faut sortir d’un système qui est à bout de souffle.

Vous êtes favorable à l’accès de la prêtrise aux femmes ?

À titre personnel, oui. La parole d’une femme dans une prédication peut avoir, sur certains sujets, plus de poids que celle d’un prêtre célibataire. Les femmes qui ne prêchent pas, je trouve cela terriblement choquant. Je conçois davantage l’Eglise comme une communauté de tous les baptisés. Nous sommes la dernière monarchie de droit divin, je trouve que ce n’est pas heureux.

Cette année 2023 sera aussi celle du synode du pape François , il y sera question de la place des femmes. Le sens étymologique du mot synode, qui vient du grec synodos , est « marcher ensemble ». C’est mon souhait. C’est l’église dont je rêve.

PLUS WEB Notre vidéo sur nos sites lalsace.fr et dna.fr

Bio express

Hervé Paradis-Murat est né en 1974 à Thionville en Moselle, au sein d’une famille engagée dans le domaine social, « le réformisme syndical » et la politique. Il a choisi, jeune adulte, de porter le nom de son père (Paradis) et de sa mère (Murat).

En 1992, il commence un cursus universitaire à l’I.E.P (Institut d’études politiques) à Strasbourg dans la filière Service public avec l’idée de travailler dans la fonction publique. Il obtient son diplôme en 1995, qu’il complète par un DESS en administration des collectivités locales. Il poursuit ensuite à Sciences-po Paris, par une préparation au concours de l’ENA (École nationale d’administration).

C’est durant cette « prépa » en 1997 qu’il décide de prendre une autre voie, celle du séminaire, pour devenir prêtre. Il n’a pas grandi dans une famille très religieuse mais a été marqué par un oncle prêtre, journaliste et universitaire, une cousine carmélite.

« Quand je suis arrivé à Strasbourg, je suis allé au FEC (Foyer de l’étudiant catholique). J’avais un intérêt pour le religieux, mais plutôt sur un mode extérieur à l’institution. Au FEC, j’ai rencontré des amis croyants, un aumônier très ouvert et très original, Jean-Luc Hiebel. J’ai découvert qu’on pouvait être croyant sans être idiot ! J’avais aussi une idée noble du service public et la prépa à l’ENA m’en a éloigné, quand j’entendais parler de ‘’chômage trappe à pauvreté ‘’ et d’autres approches économiques très libérales… J’ai voulu faire autre chose de ma vie. »

Durant son, cursus d’études au séminaire, Hervé Paradis-Murat fait un séjour au Québec puis en Inde à Madras.

Il est ordonné prêtre en 2006. Après deux années à Saint-Étienne et au Sacré-Cœur à Mulhouse, puis trois dans un regroupement de paroisses du Bassin potassique, il est nommé à Sainte-Marie « Église centre-ville » en septembre 2011.

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