La plus récente actualité est venue, une nouvelle fois, mettre en lumière les turpitudes de clercs et même d’évêques… Alors que l’on croyait que la publication du rapport de la CIASE avait provoqué – enfin- une prise de conscience par les évêques de France du caractère systémique des abus, et des nécessaires réformes de gouvernance pour y faire face, voici que les récentes affaires SANTIER et RICARD sont venues fragiliser encore davantage le peu de confiance que les catholiques mettaient dans leurs évêques. C’est peu de dire que ces affaires pèsent lourds sur la confiance, et sur la foi même. J’ai beaucoup pensé ces derniers jours à ces mots de Don Alvaro dans Le Maître de Santiago, pièce de théâtre écrite par Henri de Montherlant : « Je n’ai soif que d’un immense retirement ». Faut-il continuer dans cette Eglise-là ? Faut-il supporter encore ces compromissions, ces silences coupables, cet entre-soi qui fait perdre jusqu’à la common decency? Comment ne pas sombrer dans le découragement ?

Parmi les voix qui s’élèvent résolument, avec constance, et auxquelles beaucoup de catholiques aujourd’hui s’accrochent, il y a celle de Sr Véronique MARGRON, présidente de la CORREF, théologienne moraliste. Dans un éditorial sur RCF en date du 13 novembre, elle a eu les mots justes, empruntés à Dietrich BONHOEFFER pour ne pas céder à la tentation de cet immense retirement, à la tentation de baisser les bras. Ses mots m’ont fait du bien. Je forme le voeu qu’ils soient aussi pour vous un baume sur les blessures. Hervé PARADIS-MURAT

Chers amis

D’effondrement en infinie tristesse, d’indignation en découragement, le pas se fait difficile et lourd. Le courage pourrait venir à manquer. La foi peut-être même. Pourtant, il est partout des visages magnifiques, des soutiens aussi vrais que discrets, des solidarités des vies éprouvées. Là sont pour moi le visage du Christ et celui de l’Église que je confesse. Celle des gens qui malgré l’épuisement et l’écœurement ne renoncent pas à l’Évangile et à sa suite, et croient qu’il peut – un jour – faire toute chose nouvelle. En nos cœurs avant tout.

Ne sachant dire plus, je vous confie ces lignes du pasteur Dietrich Bonhoeffer. Elles m’ont été offertes par un évêque ami lors de l’Assemblée plénière de Lourdes la semaine dernière, celle de tous les cataclysmes. Je l’en remercie de tout cœur et vous les remets, telle une consolation autant qu’une exigence.

Elles sont extraites d’un joyau de la littérature spirituelle, De la vie communautaire et sont un témoignage de ce que le théologien protestant a vécu avec des jeunes candidats au ministère pastoral entre 1935 et 1937, sous l’Allemagne nazie, alors qu’il est membre de l’Église confessante s’opposant au Führer et qu’il paya de sa vie son engagement chrétien. Il déploie en ces pages sa célèbre distinction entre une communauté qu’il nomme « psychique », fondée sur la fusion entre ses membres et la fascination à l’égard du chef et une communauté qu’après Paul, il appelle « pneumatique » ou spirituelle, enracinée dans les liens de l’Esprit qui impliquent la distance et le respect. Enjeu toujours ô combien actuel.

« On ne saurait faire le compte des communautés chrétiennes qui ont fait faillite pour avoir vécu d’une image chimérique de l’Église. Certes, il est inévitable qu’un chrétien sérieux apporte avec lui, la première fois qu’il est introduit dans la vie de la communauté, un idéal très précis de ce qu’elle doit être et essaye de réaliser. Mais c’est une grâce de Dieu que ce genre de rêve doive sans cesse être brisé. Pour que Dieu puisse nous faire connaître la communauté chrétienne authentique, il faut même que nous soyons déçus, déçus par les autres, déçus par nous-mêmes. Dans sa grâce, Dieu ne nous permet pas de vivre, ne serait-ce que quelques semaines, dans l’Église de nos rêves, dans cette atmosphère d’expériences bienfaisantes et d’exaltation pieuse qui nous enivre. Car Dieu n’est pas un Dieu d’émotions sentimentales, mais un Dieu de vérité. C’est pourquoi seule la communauté qui ne craint pas la déception qu’inévitablement elle éprouvera en prenant conscience de toutes ses tares pourra commencer d’être telle que Dieu la veut et saisir par la foi la promesse qui lui est faite. Il vaut mieux, pour l’ensemble des croyants, et pour le croyant lui-même, que cette déception se produise le plus tôt possible. […] La vraie communauté chrétienne est à ce prix : c’est quand nous cessons de rêver à son sujet qu’elle nous est donnée ».

Dietrick BONHOEFFER, De la Vie communautaire, Delachaux et Niestlé, 1968, p. 21-22 et 24.

Nous sommes là, si douloureusement.

Véronique Margron op

Edito © RCF

13 NOV. 2022

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